Un texte façon slam, sur une thématique assez contemporaine…
C’est pas tellement une attitude, Prendre habilement de l’altitude, Dans le bâtiment de mes habitudes, Des babillements de ma solitude.
Depuis longtemps, je sais que mes tracas m’isolent, Je suis ce genre de type qui met seul, sa camisole, Pessimiste, j’pense qu’à force de Lubrizol, On anticipe, notre fin dans le caveau de Mausole.
J’descends à la cave, et croise l’ermite, Qui dans son silence, imagine de clairs mythes, Il dit qu’on nous manipule, une main dans kermit, Et préfère aux Hommes, la compagnie des termites.
En remontant, pour l’heure de mon cinq à sept, Je tombe sur cette fille, qu’on appelle l’ascète, Elle m’invite à regarder ses vacances en cassette, Avec sa famille à Sète, en trois-cent-sept sur l’A7.
Je m’échappe, comme un con, fit « Neeeeh », Invente que sur mon feu, un confit né, Croise sur le palier, quelques confiné·e·s, Des gens qui savent tout, qui ont la conf’ innée.
Ils me disent que j’ai tort, Ceux-ci sont sceptiques, Veulent prendre l’apéro dehors, Saucisson sec, kriek.
Je sais que c’est pas à force de conférence, Qu’on convaincra des cons féroces, T’as ceux qui tuent les rhinocéros, Ceux qui meurent d’une rhino, c’est rance, Certains comprendront la différence, Ceux qui verront leurs proches faire os, Et si l’épidémie est si véloce, C’est qu’on se moque de la prévalence.
Alors, confiant, j’leur confie en confidence,
Que moi aussi je rêve de la quille, D’une esquive en esquif, De retrouver un ex kiff, D’un air exquis de Pesci Ou d’un verre de whisky Mais si tout le monde resquille, Alors il reste qui ? Pendant que les lits en kit s’enquillent, Et que le thanato maquille…
J’continue en yaourt, toujours à l’étage, Et j’les laisse là, avec mes idées de passage, Comme le dit l’adage, y a pas d’âge pour être sage, Surtout quand on tourne en rond, comme un escalier en cage.
Je rentre chez moi et referme la porte, Attendant, reconnaissant, que la médecine l’emporte.
Merci de ta lecture!
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Le réfrigérateur n’a plus de portes. Je lui explique qu’il gaspille de l’énergie et participe à la destruction de son environnement. Il me rit au nez. Miguel me retient de lui dresser un procès-verbal.
Le 6 novembre est la journée internationale pour la préservation de l’environnement en temps de guerre. L’intitulé assez curieux de cette journée m’a inspiré ce texte, écrit et publié un 6 novembre.
6 novembre. 4h23. Nous venons d’atterrir sur une petite piste militarisée au milieu de nulle part. Le pilote a atterri à vue, avec les feux de l’appareil. Il ne faut pas que l’aéroport de campagne ne soit trop facilement repérable. Au milieu de cette vaste étendue plane, la moindre lumière est repérable à des dizaines de kilomètres. L’avion n’a révélé notre position que quelques minutes, le risque est considéré comme « acceptable ». Une femme en treillis nous conduit jusqu’à un hangar sans fenêtre. Le faisceau de sa lampe éclaire devant moi chaque obstacle juste avant que je ne l’atteigne. Ici un trou dans la terre, rouge sous la lumière, là un barbelé mal enroulé. Dans la salle de tôle éclairée au néon, il n’y a qu’une poignée de militaires en uniforme et deux hommes que l’on nous présente comme nos guides. Ils portent un pantalon de toile ample et une chemise ouverte sur leur torse. Seule une ceinture de munition en bandoulière me laisse penser qu’ils pourront nous protéger en cas de nécessité. Je préfère ne pas y penser. Le pilote de l’avion entre à son tour, nous amenant nos sacs qu’ils jettent lourdement à côté de la porte. Il se dirige directement vers le jerrican d’eau potable et s’en prend une large lampée qui coule plus sur le col poussiéreux que dans sa bouche. Il m’adresse un sourire trempé et rassurant qui veut dire que nous allons nous revoir. Il doit nous attendre ici, jusqu’à notre retour. Dans un jeu de balance que je ne comprends pas, mes guides se lèvent lorsque mon pilote s’assoit. Ils me font signe qu’il est l’heure de partir. Nous sortons du hangar. Mes guides, moi et mon assistant. Il a le même âge que moi. Il a aussi peu d’expérience de terrain que moi. Je ne sais pas qui assiste qui dans cette mission, alors nous nous remettons pleinement à nos guides. Je trébuche deux fois avant d’arriver au pick-up de mes nouveaux anges gardiens. Il n’y a plus de faisceaux lumineux pour guider mes pas.
6 novembre. 5h37. Je ne suis pas fâché de voir la lumière du soleil. Nos conducteurs n’ont pas pris la peine d’allumer les feux du 4×4. Ils fendent la nuit avec une incroyable habilité. Bien que la nuit soit claire, et que j’ai toujours estimé bien voir dans le noir, je serais bien incapable de piloter ici. Pourtant, ils suivent parfaitement la piste. Nous sommes un peu secoués, mais ça n’a pas empêché mon assistant de s’endormir. Miguel est argentin. Il m’a raconté qu’il avait l’habitude des trajets en pick-up sur les pistes des ranchs là-bas, que ça le berçait. Il s’est assoupi juste après avoir fini sa phrase. Nos deux guides sont silencieux et concentrés. Je regarde le soleil se lever et le paysage se découvrir sous mes yeux, abandonnant sa pudeur nocturne. La terre est encore plus rouge sous la lumière de l’aube. Elle n’a pas grand-chose à cacher.
6 novembre. 7h29. Le 4×4 s’arrête. Le conducteur se tourne vers moi et me demande les drapeaux. Un drapeau blanc et un drapeau de l’ONU. Deux petits fanions qu’il sort accrocher à l’avant du capot. Nous sortons tous les quatre. Je sais que ça signifie que nous avons passé la frontière. Nous n’avons vu ni poste frontière, ni gardes, ni soldats. Nos guides nous expliquent que c’est normal, que le chemin par lequel nous passons est le même que celui emprunté par les trafiquants, les mercenaires et les clandestins. Il me dit aussi que nous avons eu de la chance de ne croiser personne. Miguel est réveillé. Il parle avec les guides, plus que moi. Il connaît un peu leur langue, moi pas du tout. Leur anglais n’est pas très bon, alors nous n’avons que des discussions très formelles. Miguel essaie de me traduire ce qu’ils disent. Je n’écoute pas vraiment. L’air matinal est encore frais. Une fine pellicule de rosée a fait sortir de terre quelques herbes éphémères. Loin, devant nous, je peux deviner la région où nous allons. Les collines se détachent sur l’horizon et mettent enfin fin à cette interminable plaine désertique. Miguel et nos deux guides éclatent de rire tout en remplissant le réservoir d’essence à l’aide de gros jerricans. Nous repartons.
6 novembre. 10h16. Les premières gouttes de sueur perlent sur mon front. Le soleil est déjà haut dans le ciel. La poussière dégagée par la piste nous interdit de baisser les vitres. Nous avons croisé plusieurs patrouilles armées, mais les fanions à l’avant du véhicule ont semblé être un laissez-passer suffisant. Nos guides nous expliquent chaque faction que nous avons croisée. J’ai étudié le dossier avant de partir. J’aurais été bien incapable de les reconnaître. La plupart restent sans signe distinctif sur leurs uniformes, un moyen de prendre l’adversaire par surprise. Ou de s’entretuer entre alliés. Mais toutes sont informées de notre arrivée. Je ne comprends pas pourquoi nous avons dû prendre tant de précautions si on nous laisse finalement passer si facilement. Je me sens beaucoup plus en sécurité maintenant que le jour est levé. À tort, selon nos guides. L’odeur des cigarettes que nous fumons a fini d’envahir l’habitacle. Depuis une heure, nous roulons sur une route goudronnée, mais défoncée par la guerre, le passage des convois et des chars. Je crois que je préférais la piste. Je n’ai pas lâché la poignée au-dessus de la portière depuis que nous sommes sur la route.
6 novembre. 11h38. Nous faisons un arrêt dans un village qui s’étend le long de la route. Tous les bâtiments sont marqués par les combats. Les murs sont criblés de balles, les façades percées et seules deux fenêtres sont intactes. L’entrée est tenue par des adolescentes protégées par des barricades qui ne les empêcheront pas de mourir. Les guides m’expliquent qu’en six mois, le village a changé neuf fois d’allégeance. Tout le monde se méfie de tout le monde. Nous nous arrêtons devant une petite bâtisse blanche. C’est ici que se trouve le seul réfrigérateur du village. Un homme qui doit avoir la cinquantaine nous vend des canettes de coca-cola. Le réfrigérateur n’a plus de portes. Je lui explique qu’il gaspille de l’énergie et participe à la destruction de son environnement. Il me rit au nez. Miguel me retient de lui dresser un procès-verbal. Je lui signifie tout de même qu’il faudra que ce soit réparé lorsque nous repasserons. Il rigole de plus belle encore. Il lui manque une dent. Une incisive. Miguel lui explique que s’il ferme son frigo, il perdra moins d’argent. Ils se saluent amicalement.
6 novembre. 14h02. Nous arrivons sur l’un des premiers points d’inspection. J’ai mal au cœur. Je me suis
replongé dans les dossiers sur la route avec Miguel, mais j’ai le mal des
transports. Les cahots de la route sont insupportables et nous forcent à
faire d’interminables zigzags. J’ai eu le temps de relire l’ensemble de mes notes avant que
nous arrivions. L’endroit est encore plus beau que ce à quoi je m’attendais. C’est une forêt
de conifères majestueux qui piquent haut vers les cieux. Un souverain
local a fait planter cette forêt plusieurs siècles auparavant et elle a fini
par s’émanciper des hommes. La zone a été le terrain de combats récents. Les vainqueurs
de la bataille nous attendent. Ils sont souriants et avenants. Deux rangées de
soldats nous accueillent et on nous offre même une rasade d’alcool fort. La forêt est
ponctuée d’énormes trous d’obus. Les tirs de mortiers ont plu les jours précédents. L’air empeste
encore d’un mélange de poudre, de sang et de sève. Ils me
présentent un dossier expliquant pourquoi ils étaient obligés de tirer à l’arme
lourde pour prendre possession de la position, détruisant des essences d’arbre
protégées. Ils nous ont monté une tente climatisée pour que nous
puissions travailler au calme. En y allant, nous passons à côté d’une file de prisonniers
agenouillés. Les combattants de la faction adverse.
6 novembre. 14h48. Le travail est pénible. Le dossier qu’ils nous ont remis semble honnête mais j’ai l’intime conviction qu’ils auraient pu éviter de détruire certains massifs, à l’ouest. Miguel appuie ma position. Depuis un quart d’heure, le calme relatif est interrompu par des bruits de détonation. Elles vont par deux. Je suis sorti voir ce qu’il se passait. Ils abattent les prisonniers d’une balle dans la tête et d’une balle dans le cœur. À bout portant. Je fais remarquer à leur chef qu’ils auraient pu faire ça à un autre moment. Il m’a rétorqué que je n’étais pas là pour ça. Je m’étonne de n’entendre aucun cri. Tous les combattants semblent avoir accepté leur sort avec résignation. Avec beaucoup de courage aussi. J’en serais bien incapable.
6 novembre. 15h19. Nous avons dressé un procès-verbal concernant la destruction de deux massifs à l’ouest. Ils ont été détruits par des tirs de barrage qui devaient couper la retraite de l’adversaire. Nous avons estimé ces tirs exagérés et la prise en compte de la destruction du patrimoine naturel inconsidérée. Ils doivent s’acquitter d’une amende de 5 000 dollars à payer immédiatement, sans quoi, il y aura une majoration.
6 novembre. 16h38. En parcourant la zone des combats, j’ai découvert un ensemble de massifs forestiers qui avaient été proprement tronçonnés. J’ai immédiatement demandé un rapport à leur chef. Il m’a amené un peu plus loin, au fond d’un vallon. J’y ai découvert un vaste champ de gibets où étaient attachés des centaines de cadavres d’hommes de femmes et d’enfants. Je n’ai pu retenir un haut-le-cœur. J’ai haussé le ton et demandé des explications immédiatement. Ce sont des civils. Le chef de la faction m’explique qu’ils ne pouvaient pas gâcher de balles pour tuer des civils et qu’ils ont préféré les pendre là. Tous les gibets sont construits avec des essences protégées provenant d’une zone de conservation naturelle. Je majore l’amende initiale. Miguel me recommande une somme que je trouve trop importante au vu de la procédure habituelle. Il essaye de me convaincre. Je le trouve agressif avec moi. Je me demande s’il est vraiment fait pour ce métier. Je fixe l’amende à 25 000 dollars selon la réglementation en vigueur. Le chef de la faction me sourit lorsque je lui tends la nouvelle contravention. Nous retournons à la tente. Il a chargé un homme d’aller chercher l’argent.
6 novembre. 17h12. Le calme est revenu aux alentours de la tente. Miguel est nerveux. Je comprends pourquoi il a été nommé assistant et moi, responsable de mission. Le chef de la faction nous dépose une petite malle contenant les 25 000 dollars en billets neufs et bien rangés. Nous prenons le temps de compter la somme pendant qu’il nous offre un thé. Je lui dresse un reçu de paiement. Nos guides nous attendent à côté du pick-up. Ils viennent de refaire le plein et d’acheter quatre jerricans d’essence à la faction pour que nous n’ayons pas de souci sur la route. Nous repartons.
6 novembre. 17h48. J’étudie le dossier suivant. Le soleil a déjà presque disparu à l’horizon. Nous continuons
vers le sud et le littoral. Lors des combats pour la prise d’une plate-forme pétrolière,
une autre faction a volontairement ciblé les cuves provoquant une explosion et
un incendie qui s’est étendu aux puits. Pire encore, selon les premiers rapports, ils auraient
creusé un charnier dans une zone naturelle protégée, changeant la nature des
sols. Je relis le code de l’environnement en temps de guerre pour me
rappeler les sanctions adéquates. Lors de la dernière séance plénière de l’ONU, un
réajustement a été effectué pour que ce soit plus juste. Miguel n’a pas
ouvert son dossier. Il discute avec les guides, mais ils ne rigolent plus. Ils parlent
gravement. À ses intonations, je comprends que Miguel pose de
nombreuses questions, qu’il veut en savoir plus sur la guerre. J’essaie de le
ramener à des sujets plus importants, à ce qui nous amène ici. Il ne m’écoute
jamais longtemps. Nous avons prévu de rouler toute la nuit.
6 novembre. 19h32. Je continue à travailler à la lueur de ma lampe torche. Miguel m’aide. Je commençais à
avoir des crampes à la mâchoire à force de tenir la lumière entre les dents. J’espère qu’à
notre retour, le réfrigérateur sera réparé. Je note dans les marges les différents éléments à charge et
les sanctions correspondantes. Miguel trouve que je suis trop compréhensif avec les
factions. Et que je devrais oublier cette histoire de réfrigérateur. Alors je dois
sans cesse lui rappeler les alinéas du code de l’environnement en temps de
guerre. Il semble oublier notre mission : protéger notre
planète, patrimoine universel. Il me rétorque qu’il ne trouve pas ça normal que je
considère de la même manière la destruction d’une forêt lors de combat et l’abattage
d’arbre dans le but de massacrer des civils prisonniers. Je lui réponds
qu’il aurait mieux fait
de travailler dans la mission juridique. Il lâche la lampe. Ma mâchoire me fait encore souffrir.
6 novembre. 21h08. L’un de nos guides s’est endormi à l’avant. C’est la
première fois que j’en vois se reposer de la journée. Miguel a
toujours les yeux ouverts. Il regarde dehors comme s’il pouvait distinguer le paysage
qui défile sous nos yeux, dans l’ombre. À haute voix, il se demande si nous ne sommes pas fous. Si ce que nous
faisons là à vraiment un sens. Il répète que tout ceci est en fait complètement absurde. J’essaie de le
calmer, alors il me demande si c’est normal. Je lui rappelle que dans mon compte-rendu de mission, je
serai obligé de mentionner tous les doutes qui l’ont traversé. Il me demande de
nouveau si je trouve tout ça normal. Je crois qu’il n’est pas fait pour ce boulot. Il réplique
qu’il croit qu’il n’est pas fait pour ce monde.
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Lorsqu’on vous apprend à accepter la mort comme une réalité plus que probable, on vous apprend en substance à comprendre la vie comme une réalité improbable.
Depuis qu’ils
avaient franchi l’écoutille, ils n’avaient plus prononcé un mot. Du moins, ils ne
s’étaient plus adressé la parole. Ils avaient bien été obligés de parler, pour la télé. Les quelques
phrases de circonstances, prévues pour l’occasion. Neil s’était
trompé. Il avait révisé la phrase durant tout le voyage, passant de
longues minutes devant les plaques d’aluminium du vaisseau qui faisaient office
de miroir. Mais elle était sortie différemment de sa bouche. La difficulté
d’une représentation en direct, sur la lune, durant laquelle on a bien d’autres
choses à penser que les phrases destinées à des gens qui se trouvaient à des
milliers de kilomètres de là. Buzz n’avait
pas relevé l’erreur, ce n’était pas nécessaire. Il ne comprenait pas le silence de son commandant. Ils agissaient
tous les deux mécaniquement. Ils avaient répété des dizaines de fois chaque opération,
chaque geste pour que la mission se déroule dans les meilleures conditions. Buzz était concentré. Lors du dernier
entraînement, en scaphandre dans une piscine de plusieurs mètres de fond, Neil
l’avait frappé. L’entraînement s’était bien passé, toutes les opérations
avaient été menées à bien dans les temps. Le module lunaire avait pu redécoller. Concrètement,
seul le bras de la grue qui soutenait la réplique du module lunaire avait
permis le décollage, mais les procédures avaient été
respectées. En sortant du bassin, Neil s’était dirigé directement vers
Buzz, et lorsque celui-ci avait retiré son casque, il lui avait assené, d’un
grand geste de la main, une claque. Le son avait raisonné sur le carrelage de la piscine, mettant
en arrêt quelques secondes toutes les équipes.
« On se parle ! On communique ! On explique à ses camarades ce qu’on est en train de faire ! C’est ça qui fait
la réussite d’une mission ! Ce n’est pas l’entraînement, les réflexes ou les capacités de
chacun qui nous permettront de revenir sur terre ! C’est le travail
d’équipe ! »
Il avait crié, laissant Buzz bouche-bée, choqué. Buzz n’en
avait pas voulu à Neil. Oui, il était connu comme le monsieur Cool, celui qui sait
s’adapter sereinement à chaque situation. Mais même la personne la plus rassérénée pouvait connaître un
moment de faiblesse. La panique, passagère, s’était exprimée dans le choc entre la
main de Neil et la joue de Buzz. Les responsables de la mission n’étaient pas intervenus. Ils craignaient
d’envenimer les choses. Buzz et
Neil n’en avait pas reparlé. Ni avant le décollage de la fusée, ni durant le trajet
jusqu’à la lune. Michael n’avait pas été mis au courant de l’altercation, et
jamais il n’aurait rien pu soupçonner. Alors ce silence, depuis qu’ils avaient fait leur premier pas
sur la Lune, le décontenançait. Il craignait de briser le silence, ce n’était pas à lui de
mener l’opération. Il n’en était pas le commandant et il avait un sens profond
du respect de la hiérarchie. Mais il craignait qu’une fois de retour dans l’Aigle, le
module lunaire, Neil vienne le trouver et le frappe à nouveau. Il lui suffirait
de conserver son casque de scaphandre jusqu’au retour sur terre, se disait-il
machinalement comme pour se rassurer.
Le capteur de
vent solaire, le sismographe, le récepteur laser et le drapeau étaient
maintenant installés. Buzz, avec la
joie d’un enfant, avait effectué les exercices prévus pour évaluer les
capacités de déplacement des astronautes sur la Lune. Neil ramassait
les échantillons de roche qu’il disposait dans des valises. Ils furent
interrompus par l’appel téléphonique du président des Etats-Unis. Là encore, ils ne
se parlèrent pas directement, mais chacun échangea quelques mots avec Richard. La mission
scientifique prenait du retard. Malgré les entraînements, les conditions réelles
présentaient des difficultés supplémentaires. Les processus mécaniques ou électroniques qui fonctionnent
parfaitement lors des tests ont une fâcheuse tendance à réagir différemment en
condition réelle. Une manière de montrer qu’eux aussi doivent faire des efforts. Sur terre, les
responsables de mission commençaient à s’inquiéter du retard pris. L’autonomie en
oxygène des astronautes était limitée, et la sortie extravéhiculaire devait
toucher à sa fin. Le capcom ordonna
à Buzz de rejoindre l’Aigle même s’il n’était pas parvenu à ramener
tous les échantillons de roche prévu. Au moment où Buzz remontait dans le module, Neil s’éloigna
pour aller faire des photographies du cratère qu’il avait habilement évité lors
de l’alunissage. Buzz était
en haut de l’échelle. Il savait qu’il était temps de rentrer et de préparer le
départ. Il observait Neil qui s’éloignait, en silence. Il décida de
rompre le mutisme à cet instant, voyant son commandant s’éloigner du protocole
de mission.
« Neil, on rentre au bercail. »
Il ne répondit pas. Buzz vit
Neil disparaître derrière la ligne de crête du cratère. Dans sa radio, il
pouvait entendre le capcom s’égosiller,
ordonnant au commandant de la mission de faire demi-tour, lâchant une flopée
d’insulte lorsque Buzz signala que Neil était sorti de son champ de vision. Buzz commença à redescendre les échelons pour
aller à la rencontre de son coéquipier, mais il fut immédiatement
rappelé à l’ordre par le capcom. Il s’immobilisa,
le pied gauche en l’air, le pied droit sur
le deuxième barreau. Neil finit par réapparaître, ressortant du cratère. Le capcom lança une nouvelle volée
d’injures, de soulagement. Lorsque Neil arriva aux pieds de l’échelle du module, il
lança son appareil photo à Buzz.
« J’ai pris quelques photos du cratère, on y voit les
roches sous la couche de régolithe qu’on n’a pas réussi à percer. Ca pourra les
aider, sur terre. »
Buzz sourit, même si personne ne pouvait le voir. Son commandant
venait de lui adresser la parole et avait fait preuve d’une initiative
participant plus encore à la réussite de la mission. Le capcom continuait à s’époumoner
dans la radio. Ça n’avait plus aucune importance.
Neil n’avait toujours pas réintégré l’habitacle et ne montrait aucune volonté de le faire. Il faisait face à l’échelle et n’avait, de nouveau, plus prononcer un mot. Buzz avait réintégré le module pour le mettre en ordre de marche. Lorsqu’il repassa l’écoutille, il tendit une main à Neil pour l’inviter à le rejoindre, mais celui-ci ne réagit pas. « Commandant, vous n’aurez bientôt plus d’oxygène dans votre PLSS, il faut que vous remontiez et qu’on oxygène l’Aigle. On prendra le temps de manger, de dormir et nous pourrons redécoller pour retrouver Michael puis la Terre et nos familles. Vous venez ? » Il regarda le panorama lunaire et désertique qui s’offrait à eux. Une force mystique déconcertante se dégageait de ce lieu incomparable. L’attraction qu’elle exerçait sur eux ne pouvait pas être comprise par les équipes à Terre qui gardaient les yeux rivés sur les chiffres et les données vitales des deux astronautes. Neil empoigna l’échelle, perchée à un mètre au-dessus du sol. D’un mouvement des bras, il la repoussa vers le haut pour la replier, prenant Buzz par surprise. « Je ne rentrerai pas Buzz. Je ne reviendrai pas de cette mission. Je ne repartirai pas de la Lune. Vous pouvez procéder au décollage sans moi. L’ordinateur de bord se chargera de mener à bien le ré amarrage au module de service. Et vous rentrerez sur Terre avec Michael. » Buzz resta interdit. Dans la radio, plus personne ne parlait. Le capcom ne laissa pas échapper la moindre insulte. Toute la salle de contrôle avait le souffle coupé. Buzz comme Neil le savaient, la mission était une mission risquée. Si le module lunaire ne parvenait pas à décoller, ils étaient condamnés. Il n’y avait pas de procédure d’urgence, de possibilité de secours, aucun plan B. Les ingénieurs n’avaient pas pu en prévoir. Alors on les avait préparés, à accepter la mort, la possibilité du non-retour. Tous les trois, Michael aussi, avaient passé les tests psychologiques avec brio. Les meilleurs thérapeutes du pays s’étaient assurés qu’aucun des trois hommes n’aurait une crise de panique, un moment de doute à un moment crucial de la mission. On leur avait demandé, souvent, s’ils acceptaient l’idée de, peut-être, ne pas pouvoir revenir. Le travail avait parfaitement fonctionné. Neil s’était pleinement accoutumé à l’idée de ne pas revenir. De finir sa vie sur la Lune, en dehors du carcan terrestre. Jamais les psychologues n’avaient pensé que ces hommes pourraient ne pas vouloir revenir. Lorsqu’on vous apprend à accepter la mort comme une réalité plus que probable, on vous apprend en substance à comprendre la vie comme une réalité improbable. « Mais enfin Neil ! s’exclama finalement Buzz. Vous n’allez pas rester ici. Nous venons d’accomplir ce qu’aucun Homme n’a réalisé jusqu’ici, nous avons marché sur la Lune ! Lorsque nous serons redescendus là en bas, nous serons des héros. Je vous connais bien, je sais que vous aussi vous avez envie de connaître cette gloire. Je vous ai vu faire les tournées en Amérique du Sud. Vous aimez le public, voir la foule vous aduler, les hommes d’Etat se courber devant vous. – Vous avez raison Buzz, quand vous redescendrez sur Terre vous serez des héros, et on vous traitera comme tel. Si moi je meurs ici, je deviendrai une légende, j’entrerai au panthéon. Je deviendrai l’égal des Dieux. – Vous délirez ! – Non, vous ne comprenez simplement pas ! Qu’est-ce que sont les Dieux ? Les forces qui ont amené la vie sur Terre ? Qui régissent notre monde, nos sociétés ? Peut-être, mais s’ils sont si importants pour nous, pour l’humanité, c’est parce qu’on les considère comme responsable de la fin. Ils sont sources de la Vie, mais surtout de la Mort. Voilà qui sont les Dieux de l’Humanité, des assassins en puissance ! – Et vous pensez les arrêter en restant sur la Lune ? – Non, je pense les égaler ! Rendez vous compte, en mourant ici, j’apporterai la Mort dans un espace inerte, vierge de tout. Un véritable désert. – Je ne vous suis pas. Si c’est le désert qui vous fait rêver, allez donc avec votre femme et vos enfants dans la Vallée de la Mort ! Si vous voulez un désert messianique, allez donc au Sinaï, là-bas aussi vous serez traité en héros ! Mais montez donc dans l’Aigle et repartons d’ici ! Nous n’aurons bientôt, ni vous ni moi, d’oxygène dans notre PLSS. – Peu m’importe le Sinaï ou la quantité d’oxygène dans ma combinaison. Si je reste ici, si je meurs ici, j’aurais créé le plus grand paradoxe possible, un paradoxe que les Dieux eux-mêmes n’auront su créer avant moi. J’aurais apporté la Mort dans un espace qui n’a jamais connu la Vie ! – Vous êtes fou, vous devez déjà manquer d’oxygène ! – Rendez vous compte, je mettrai fin à quelque chose qui n’a jamais commencé. Je serai ce Dieu venu du ciel et ayant apporté la Mort sur la Lune. – Vous seriez un Dieu lunaire en quelque sorte. – Voilà, vous saisissez ! – Croyez-vous que le major Adams est un Dieu ? – Il est mort dans le ciel terrestre, ça n’a rien à voir. – Vous seriez le Dieu d’un lieu désertique, inhabité et infertile. Vous ne seriez rien ! – Où voulez-vous en venir ? – Un Dieu n’existe que s’il y a des croyants pour l’adorer. Vous ne serez un Dieu pour personne. Tout au plus, serez-vous un martyr, car la NASA n’osera jamais diffuser le fait que vous serez resté ici involontairement. On parlera d’un accident, on vous pleurera, on vous regrettera, vous ne seriez rien de plus qu’un héros mort ! – C’est la dimension philosophique de ma mort qui fera de moi un Dieu, Buzz ! Mais vous n’avez jamais été un grand intellectuel, vous ne pouvez pas comprendre. – Ce que je comprends, c’est que vous vous méprenez complètement ! Vous êtes un militaire, mais pour participer à une telle mission, vous avez forcément un peu l’esprit scientifique ! Et vous vous fourvoyez complètement ! Vous n’aurez apporté ici ni la Vie, ni la Mort, car vous n’aurez rien créé ici ! La magie de l’apparition de la vie sur terre, c’est que nous ne savons pas encore l’expliquer avec certitude. Nous doutons, nous essayons de comprendre, nous nous trompons, nous cherchons. Alors certains décident de l’expliquer par la théologie et la religion, c’est leur choix ! Mais dans votre cas, votre triste cas, votre pathétique cas, il n’y aura aucun mystère. Il n’y aura personne pour chercher à comprendre comment vous serez arrivé ici. Il n’y aura personne pour chercher à expliquer votre apparition. Il n’y aura personne pour écrire des textes grandioses et épiques pour y donner un sens. Parce que tous, avant même que vous vous preniez pour un Dieu, nous saurons que vous êtes arrivé ici lors de la mission Apollo 11, accompagné de deux fidèles camarades que vous aurez choisi d’abandonner. Vous n’éveillerez aucun imaginaire. Et pour moi, comme pour tous ceux qui sauront l’exactitude des choses, vous ne serez pas même un sacrifié sur l’autel du progrès scientifique. Vous ne serez qu’un fou qui aura cédé aux sirènes de la mégalomanie. » Buzz termina sa tirade en faisant redescendre l’échelle qui se figea de nouveau à un petit mètre du sol lunaire. Il s’accroupit péniblement, tourné vers Neil, lui tendant une nouvelle et dernière fois le bras, pour l’inviter à rejoindre le module lunaire. Neil leva la tête vers lui. Ils ne pouvaient voir leur visage, mais chacun devinait les expressions de l’autre. « Je crois que vous avez raison, soupira Neil. » Dans la radio, on entendit le soupir de soulagement de toute la salle de contrôle. « Voyez-vous, continua Neil, on nous demande chaque jour de regarder la mort en face. Pas seulement nous, astronautes suicidaires qui pour d’obscures raisons acceptons de mettre nos vies en danger pour nous sentir vivant, mais nous les Hommes. On nous brandit la menace nucléaire, les maladies ou je ne sais quoi d’autre encore. On nous encourage à l’accepter, tout en prétendant lutter contre. Mais nous laissons mourir nos semblables partout dans le monde, et chaque jour nous inventons de nouveaux moyens de nous détruire. – L’Homme est un loup pour l’Homme mon vieux. Que voulez-vous, nous n’inventons rien. – Mais nous, Buzz, nous deux, nous voilà ici sur la Lune à parler d’Humanité et de paix. Alors que nous ne sommes là que pour montrer notre supériorité sur les rouges. Je crois que nous ne trompons personne. – Peut-être avez-vous raison, je n’en sais rien, Neil. Ce que je sais en revanche, c’est vous ne changerez rien à toutes ces choses en choisissant de mourir ici. Venez, rentrons. »
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Des étincelles pour tromper la nuit, Hé, éteins celles pour tromper l’ennui, Songer à faire partie des étoiles, Rongé par ce que tu mets sur la toile.
Sage comme une image, toujours filtrée, Perfection, tu effaces les vils traits, Chacun des clichés est un autoportrait, Comète d’un univers égocentré.
On s’met en scène, tous acteurs, c’est le bouquet, En acte, claque du fric pour des frocs craqués, Des clics, du clinquant, garder les regards braqués.
Alors, retiens ceci, quand tu seras parti, fils, Dans ce rêve se trouve le véritable vice, Cette vie ne sera jamais qu’un feu d’artifices.
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La construction de la cathédrale a commencé en 1163 sous le règne du roi Louis VII pour remplacer l’ancienne cathédrale romane tombée progressivement en désuétude. On décide alors de construire un sanctuaire moderne qui doit s’inscrire dans le mouvement architectural gothique, comme à l’abbaye de Saint-Denis que vous avez visité ce matin avec mon collègue. Si vous vous approchez maintenant de moi, vous verrez… Luc continue machinalement son discours.
Loïc roule depuis trois bonnes heures maintenant. Il fait
une pause sur le chemin dans un hôtel d’une zone commerciale. Il n’aime pas
faire trop de route en une seule journée, ça lui donne des maux de tête alors
il a découpé son voyage en deux étapes. Plouzané Hôtel Formule 1 de Laval,
Hôtel Formule 1 de Laval Paris. Il mange un sandwich triangle tout seul dans sa
chambre et se couche sur le lit du haut. C’est moins pratique quand il a besoin
d’aller aux toilettes, il a d’ailleurs loupé un barreau de l’échelle et s’est
un peu amoché le visage, mais à la maison il n’avait jamais le droit au lit du
haut. Son grand frère l’occupa le premier, c’était normal il était plus grand
et plus fort. Puis son petit frère lui succéda, c’était normal, il était aussi
plus grand et plus fort. Alors Loïc profite pleinement de cette nuit sur le lit
du haut, même s’il ne dort pas très bien. La barrière n’est pas très haute,
comment être sûr qu’il ne va pas tomber dans la nuit ? S’il fait un rêve
un peu agité ? Est-ce que d’instinct il se réveillera avant de
tomber ? Peut-être un réflexe qu’on prend lorsqu’on a l’habitude de dormir
sur le lit du haut depuis son enfance, mais quand c’est la première fois ?
Alors il profite mais ne dort pas. Le lendemain, soulagé parce qu’il n’est pas
tombé quand il s’est finalement endormi, il prend un petit déjeuner rapide et
il se remet en route. Paris. Alors que les panneaux routiers lui indiquent
chaque fois qu’il se rapproche un peu plus, il sent l’excitation qui commence à
monter. Il regarde derrière lui, sur les sièges passagers. Il a bien tous les
jerricans d’essence. Ils ne sont plus cachés sous la vieille couverture. Il l’a
oubliée à l’hôtel. Il l’a mise sur son lit, côté gauche, côté du vide, en se disant
que ça l’empêcherait de tomber. Il a oublié de la reprendre. C’est beaucoup
moins discret comme ça. Les transporteurs de carburants utilisent des camions
citernes généralement, pas des vieilles Citroën ZX remplies de jerricans
d’essence. Les policiers, ou les gendarmes, à un éventuel contrôle ne seront
pas dupes, il en est certain. Il s’arrête sur une aire d’autoroute, une où il
n’y a rien d’autre que des toilettes dans un état lamentable et trois tables de
pique-nique défoncées au bord du parking, demande une bâche à un routier, qui
la lui cède parce qu’il a du feu et qu’il veut s’allumer une clope, et se remet
en route. Il est sur le périphérique, il prend les quais, passe à côté de Bercy
et file vers l’Ile de la Cité. Il est chanceux, il trouve une place rue Chanoinesse,
une voiture part juste devant lui. Il coupe son moteur, relâche un peu ses
jambes, s’allonge dans son siège et ferme les yeux.
Il repense à son plan. C’est un plan simple, parce que plus le plan est simple,
moins il y a de chances qu’un élément du plan ne fonctionne pas. C’est ce que
son mentor lui a répété pendant toute la préparation. Il l’a rencontré sur
internet, c’est là qu’il passait le plus clair de son temps avant son voyage.
Il ne savait pas quoi faire d’autre, le monde, dehors, ce n’était pas fait pour
lui. On le lui avait dit à l’école, on le lui avait dit au club de judo, on le
lui avait dit en apprentissage, il n’était pas bon à grand-chose, alors il ne
faisait pas grand-chose. Et puis il a rencontré son mentor sur internet, un
type bien qui lui a expliqué pourquoi le monde était injuste, pourquoi le monde
n’allait pas dans la bonne direction, pourquoi, lui, Loïc, participait à cette
injustice parce qu’il était un occidental. Le type lui expliqua ensuite qu’il
fallait défendre l’Islam et le prophète pour que le monde retrouve son
équilibre. Loïc n’y connaissait rien, à part ses souvenirs des cinq piliers de
l’Islam du cours de cinquième, mais ça n’a pas dérangé son mentor. Les
ignorants font les meilleurs combattants, il le répétait souvent. Loïc l’aimait
bien parce qu’on lui avait souvent dit qu’il était un ignorant, mais on n’avait
jamais présenté ça comme quelque chose de positif, une potentielle qualité.
Loïc se choisit un nom de combattant, Al Mansour, il avait vu ça dans une bande
dessinée et il aimait bien, même si il préférait quand même Loïc Legohel parce
que c’était son nom depuis toujours. Le type lui expliqua aussi comment il
pouvait se rattraper et apporter sa pierre à l’édifice. C’est cette expression,
de pierre à l’édifice, qui lui a donné l’idée de Notre-Dame de Paris à Loïc. Parce
que son mentor il parlait de supérettes, de plages, de stations-services mais
Loïc, maintenant qu’on lui avait appris que sa vie avait un sens, il voulait
faire quelque chose de bien quand-même, quelque chose de marquant. Son mentor,
il n’aimait pas trop l’idée, il disait que c’était trop risqué, et qu’il valait
mieux faire quelque chose de simple. Loïc lui répondait qu’on pouvait faire des
choses simples qui avaient du sens et à ce moment généralement son mentor s’énervait
et lui expliquait qu’il n’avait pas le temps et qu’il réfléchissait trop. Ca on
le lui avait souvent dit, qu’il réfléchissait trop et pas de la bonne manière
ou pour rien. Alors Loïc en a eu marre, parce que son mentor lui rappelait trop
l’école et il a arrêté de discuter avec lui. Et il a fait son plan tout seul,
dans son coin. Lorsqu’il eut fini de mettre son plan au point, il reprit
contact avec son mentor, mais il ne lui répondit pas. Il était mort lors de
frappes de drones en Syrie, mais ça Loïc ne le savait pas. C’était dommage
qu’il ne réponde pas parce qu’il aurait aimé la simplicité du plan. Entrer dans
la cathédrale, mettre de l’essence dans la cathédrale, allumer l’essence pour
faire bruler la cathédrale. Loïc s’était entrainé sur l’atelier de M. Arwan,
son voisin, et ça fonctionnait bien. Il regarde sur son téléphone pour voir si
son mentor ne lui a pas envoyé un message. Il aurait quand même bien besoin
d’encouragements à ce moment-là. M. Arwan était sacrément en colère quand il a
vu Loïc faire bruler son atelier, alors Notre-Dame de Paris, il se dit que ça
va mettre pas mal de monde en colère. Son mentor lui disait qu’il fallait
terroriser les gens. Il lui disait surtout qu’il fallait tuer. Loïc n’aimait
pas trop ces discussions-là, il avait l’impression que son mentor voulait
surtout tuer des gens plutôt que de passer un message. Loïc était dans une
dynamique inverse, alors dans son plan il avait prévu d’attendre que la
cathédrale soit vide, mais ça il ne l’avait pas dit à son mentor. De toute
façon il n’avait pas répondu. Loïc regarde l’horloge numérique de la voiture,
il a quelques heures devant lui, il referme les yeux pour dormir un peu et
passe machinalement les mains sur les poches de son jean. Comme quoi, même un
plan simple peut rencontrer des problèmes. Il a laissé son paquet d’allumettes
au routier.
Laurence Obolsky.
Ils en ont des belles, eux. Voilà ce que pense Laurence
penchée sur son ordinateur dans un petit bureau de l’Elysée. Elle est là depuis
trois semaines, ils sont venus la chercher. Profil prometteur, ambitieuse,
intelligente, troisième de sa promotion à Science Po, discrète, un parcours
politique assez classique et modérée. Un passage à l’UNEF puis par les jeunes
socialistes, elle a travaillé avec Macron quand il est passé par Bercy. Elle
n’a pas osé le suivre tout de suite mais elle n’a pas non plus fait partie des
derniers ralliés. Alors ils sont venus la trouver et ils l’ont mise sur le
discours de clôture du Grand Débat. Le discours des propositions, celui où on
doit faire croire qu’on a un peu écouté les gens pour satisfaire ceux qui se
sont exprimés, tout en montrant qu’on maintient le cap initial pour satisfaire
son électorat de base. Un sacré numéro d’équilibriste dont personne ne voulait.
Trop casse-gueule comme ils disent tous. Alors elle en a hérité comme cadeau de
bienvenue. Elle a des centaines de documents à compiler dans un discours de dix
minutes tout au plus. Elle sait que c’est impossible. Elle le sait depuis qu’on
lui a confié la tâche, mais plus l’échéance approche et plus elle en comprend
la nature illusoire. Elle a déjà demandé trois fois si on pouvait décaler le
discours. La première fois on lui a ri au nez, elle n’avait clairement pas
conscience de la situation sociale du pays, la deuxième fois elle s’est faite
engueulée, on ne lui avait pas offert cette opportunité pour qu’elle y mette
tant de mauvaise volonté, la troisième fois on avait fini par lui dire qu’il
faudrait vraiment un événement exceptionnel pour que le discours soit repoussé.
Un attentat, un accident ferroviaire, quelque chose qui serait un drame
national. Alors Laurence avait arrêté de travailler sur le discours du
Président pour s’intéresser à la notion de drame national. Ils en ont des
belles eux, comment on fait pour avoir un drame national d’ici deux
jours ? Voilà la pensée exacte qui lui occupe l’esprit devant son
ordinateur. Ça lui trotte dans la tête. Alors elle se renseigne, elle regarde,
elle lit. Apparemment, il faut des morts. Est-ce que c’est légitime de tuer des
gens pour repousser un discours ? Elle sait bien que non, mais la vraie
question qui la taraude c’est est-ce qu’on en a vraiment quelque chose à foutre
de la légitimité ? Elle se reprend elle-même. Elle ne parle pas comme ça
d’habitude. Ça doit être le stress, ça vous change des personnes, parfois pour
toujours. Elle ne se demande pas non plus s’il est légitime de tuer des gens
d’habitude. Sacré stress, il faudra qu’elle en parle à sa thérapeute. Elle
continue ses recherches. En 1990 on a décrété drame national la profanation
d’un cimetière juif. Pas assez ambitieux, dans la société d’aujourd’hui plus
personne n’y prend garde aux profanations de cimetière. Mais la religion ce
n’est pas une mauvaise idée. Ca cristallise les débats, ça prend le pas sur
tous les autres sujets, ça excite les imaginaires des intellectuels, des
libertaires, des conservateurs. C’est un vecteur puissant, ça n’a peut-être
jamais été autant universel. Laurence sourit, elle a son drame national. Il
suffit de profaner un lieu de culte à portée nationale. Faire un truc qui
claque un peu, qui impressionnera pas mal de monde. Il faut éviter les mosquées
et les synagogues, si elle se fait prendre on retiendra l’incitation à la haine
dans les motifs d’inculpation. Une église ça fera très bien l’affaire. Le Sacré-Cœur ?
Notre-Dame de Paris ? Elle se décide pour la cathédrale, c’est plus
central et y a moins de marches pour y aller. Si elle est essoufflée en
arrivant sur le lieu de son crime, elle aura plus de mal à s’enfuir. Ce n’est
pas optimal. Elle se lève et sort du bureau. Sa cheffe lui demande où elle va,
si elle a fini le discours pour partir si tôt. Elle lui répond qu’elle avance
bien, qu’elle vient de trouver un très bon axe de progression, qu’il faut
encore qu’elle précise quelques petites choses, qu’elle revient plus tard. Elle
claque la porte sans lui laisser le temps de répondre et elle file dans une
boutique ésotérique du quartier latin. Elle achète des amulettes, des bougies
quelques bouquins qui portent sur les esprits, des figurines, des pierres. Elle
prend un peu de tout, juste pour enrichir la mise en scène. Elle veut faire
croire à des rites sataniques. Elle veut faire bruler l’autel, peut-être un peu
le chœur, rien de plus. De toute façon le reste c’est de la pierre, ça ne
devrait pas bruler plus que ça. Elle achète un sac de charbon de bois dans une
supérette, il fait beau depuis quelques jours, ça a lancé la saison des
barbecues, ça lui simplifie pas mal les questions de logistique. Elle range
tous ses achats dans le coffre de sa smart et va se garer non loin de la
cathédrale. Elle la visite pour faire quelques repérages. Il faudra qu’elle
trouve un moyen de rentrer mais elle est confiante. Adolescente, elle s’est
introduite plusieurs fois dans son lycée pour inverser le sens de toutes les tables
de sa salle de cours ou transformer une salle de SVT en basse-cour. Elle ne
s’est jamais faite prendre, ça ne doit pas être beaucoup plus compliqué ici.
Une ou deux grilles à escalader, une porte dérobée qu’on oublie toujours de
fermer. Elle trouvera. Elle sort, s’installe à la terrasse d’un café, commande
un demi de Leffe. Son téléphone indique que sa cheffe l’a déjà appelée cinq
fois et lui a laissé sept messages vocaux. Elle ne comprend pas comment c’est
possible. Elle les écoute. Elle veut la dernière version du discours d’ici 21
heures. Laurence lui répond qu’elle aura tout ce qu’il faut à 21 heures et
coupe son téléphone. Elle arriverait à la faire douter de la pertinence de son
action si elle l’appelait encore. Encore deux heures avant la fermeture au
public. Le soleil brille dans le ciel. Elle sort un roman de son sac. C’est un
bel après-midi.
Luc Mandoue
La construction de la cathédrale a commencé en 1163 sous le
règne du roi Louis VII pour remplacer l’ancienne cathédrale romane tombée
progressivement en désuétude. On décide alors de construire un sanctuaire
moderne qui doit s’inscrire dans le mouvement architectural gothique, comme à
l’abbaye de Saint-Denis que vous avez visité ce matin avec mon collègue. Si
vous vous approchez maintenant de moi, vous verrez… Luc continue machinalement
son discours. L’historique de la cathédrale, la composition du fronton avec les
fantaisies de Viollet-Le-Duc, l’histoire des rois de Juda, puis la structure
interne de la cathédrale, la nef, le chœur, les chapelles, le déambulatoire, le
trésor. Ce groupe n’a pas payé pour la visite des clochers, ce sera toujours ça
de moins à faire. Il agite les bras, il varie le ton, il remue dans tous les
sens pour essayer de faire vivre son discours. Sur sa poitrine le gros badge
sur lequel il est indiqué « guide officiel » se balance dans tous les
sens. Il fait chaud, de larges auréoles sont visibles sous ses aisselles, même
dans la fraicheur de la cathédrale. Les questions viennent, toujours les mêmes.
Ils pensent tous avoir une question originale ou pertinente. Et puis il y a
celui qui a bien lu le guide avant de faire la visite pour poser des questions
auxquelles il connaît déjà la réponse. Il veut vérifier si le guide est
compétent. C’est celui que Luc déteste le plus. Il y en a un dans tous les
groupes, plus ou moins tatillon, toujours aussi embêtant. Parfois, Luc se joue
de lui, il répond des faits faux, volontairement, et met en cause le guide qui
ne serait pas à jour. J’ai pourtant lu dans le guide que… Ah mais votre guide
n’est pas à jour, les travaux de… Il invente le nom d’un historien, et il
continue et puis à la fin il finit par dire… Mais si vous l’aviez déjà lu,
pourquoi me posez-vous la question ? Généralement ça clôt le débat pour
cette visite. Le type, parce que c’est généralement un homme qui fait ça,
enfonce un peu plus son chapeau et se plonge dans son guide pour éviter les
regards moqueurs des autres membres du groupe. Tous ceux qui sont contents
qu’il y ait enfin quelqu’un qui l’ait fait taire. La visite se termine, un
nouveau groupe arrive et la routine reprend.
Luc n’en peut plus. Il est fatigué de répéter sans cesse les mêmes choses, de
faire semblant, d’inventer des nouvelles variantes qui n’en sont pas. Il
déteste cette cathédrale, son immobilisme, son caractère immuable. Il ne devait
travailler là qu’une saison. Mais on ne fait pas grand-chose avec des diplômes
d’histoire. Et puis les gens étaient contents de lui, il recevait de bonnes
notes sur l’application. Quand il a commencé à remettre en place les « monsieur
j’ai lu le guide », ses notes ont un peu baissé mais la somme dans le
chapeau a un peu augmenté. Et puis il aimait ça, au début. Il avait
l’impression d’apprendre plein de choses à ses auditeurs, de transmettre du
savoir, de promouvoir la culture. Mais finalement il ne fait pas grand-chose de
plus qu’un audioguide ne peut faire. Les quelques fois où il a tenté des
excentricités, on lui a fait comprendre qu’il ne fallait pas recommencer. Les
autres fois où il a tenté de tenir des propos un peu plus personnels, on lui a
fait comprendre qu’il ne fallait pas recommencer. Il fallait proposer des
variantes dans le cadre, sinon on lui faisait comprendre qu’il ne fallait pas
recommencer. L’accréditation de guide officiel n’était pas facile à obtenir.
Pas mal de diplômés en histoire qui ne savent pas trop quoi faire de leur vie
sont prêts à se battre pour avoir droit au badge. Ça ne paye pas trop mal, pas
trop bien mais pas trop mal non plus, et les touristes sont moins difficiles à
gérer que les élèves. Alors Luc n’a jamais osé prendre le risque de la perdre.
Mais il voudrait tellement que les choses changent, pouvoir raconter de
nouvelles histoires, de nouveaux faits. C’est bien là le comble du guide
historique que de rêver de nouveautés et de surprises. Et c’est alors qu’il
finit sa deuxième visite de la journée que cette idée lui traverse l’esprit. Il
parle de la Révolution, des profanations et du vandalisme. Oui, les dégradations
sont aussi parties intégrantes de l’histoire de la cathédrale ! Et si elle
venait de nouveau à être vandalisée, une dégradation telle qu’on ne pourrait
pas ne pas en parler. Une dégradation telle qu’elle ferait partie elle aussi de
l’histoire. Elle serait un nouveau chapitre à raconter à tous les touristes.
Alors qu’il continue son récit, Luc se pense comme un créateur d’histoire, un
acteur de la future Histoire. Créer l’aléa qui soudainement fait basculer
l’Histoire. Voilà ce qu’il lui suffisait de faire. Un incendie, c’est
romantique un incendie. Ca ramène à l’imaginaire des grands incendies médiévaux,
ça parlerait aux gens et ce serait cohérent avec le lieu. Les gens
reviendraient pour voir la cathédrale mutilée, marquée par l’histoire encore
fumante, par ses coïncidences troublantes, ses événements aléatoires,
inattendus sur lequel l’homme n’a pas de maîtrise mais qui en font tout son
charme, à cette histoire. Les touristes attendraient impatiemment le dernier
chapitre, les dix dernières minutes de la visite pour entendre parler de
l’incendie, pour qu’on lui en montre les traces. Luc pourrait même participer à
la rédaction de la notice explicative, il est un des guides les plus anciens en
poste. Luc est sûr de lui, voilà ce qu’il doit faire. Il bâcle un peu la fin de
sa deuxième visite, fait la troisième en accéléré et refuse d’assurer la
quatrième qui s’est ajoutée dans le courant de la journée. Il sait que dans les
tours il y a quelques charpentes un peu faibles, il pourra faire partir le feu
de là-bas, il n’a pas besoin de grand-chose. Il achète deux bouteilles d’alcool
à brûler dans une droguerie, un bec allume-feu pour gazinière et retourne à la
cathédrale. On le connaît, on le laisse monter sans broncher dans la tour nord
avec son sac à dos, il la connaît par cœur. Il trouve un recoin où se cacher et
il s’y installe en attendant la fermeture.
Justice Plantoire
Dans ce monde, il faut avoir de l’ambition et se donner les
moyens de ses ambitions. La phrase trône fièrement sur le mur du fond de la
salle de réunion. Justice la regarde en terminant sa présentation. Un nouveau
projet immobilier, un centre commercial en plein cœur de Paris, sur l’ile de la
Cité. Elle termine son stage le lendemain, si elle ne convainc pas l’équipe
maintenant, elle sait déjà qu’on ne la renouvèlera pas. Alors elle a monté un
projet ambitieux. Personne n’applaudit alors qu’elle a terminé sa présentation.
Elle a fait le choix de ne pas mettre de petite image humoristique à la fin de
sa présentation. Ils le font tous, elle trouve ça terriblement ridicule. Est-ce
qu’ils ont compris que la présentation était terminée malgré l’absence du petit
gag de fin ? Si elle doit préciser qu’elle a terminé, c’est que sa
conclusion n’était pas assez bonne, il ne vaut mieux pas le souligner. Elle
attend en silence, au bout de plusieurs secondes de silence, ils devraient bien
se douter de quelque chose. Elle sent qu’elle a un sourire crispé, de
contenance. Elle essaye de se détendre, ce n’est pas simple.
« Merci Justice pour cette belle présentation. »
Soulagement, elle arrive à se détendre. Le patron a pris la parole, c’est
plutôt bon signe, quand les autres n’aiment pas ils ne se gênent pas pour le
faire comprendre immédiatement. Pour le moment ils ne disent rien.
« C’est un beau projet que vous nous présentez-là, plein de promesses mais
vous comprendrez bien qu’il est complètement irréalisable. Ça ne servirait à
rien, ne serait-ce que de l’envisager. Ce serait une perte de temps et
d’argent. Aucun investisseur ne nous suivrait dans un tel projet. »
Elle lui répond, elle défend son projet. Il est visionnaire, il est en avance
sur son temps, c’est pour ça qu’il faut qu’ils soient les premiers à plancher
dessus, ils auront la priorité quand il sera réalisable, ils ne devraient pas
passer à côté d’une telle occasion. Elle a pensé à tout, ou presque, c’est une
question de temps avant que les circonstances le permettent. Les dotations publiques
diminuent sans cesse, le patrimoine est loin d’être une priorité et le gouvernement
a même lancé un loto du patrimoine, le genre de mesure de la dernière chance
qui révèle bien les problèmes à venir. Les vieilles pierres finiront par tomber
et plus vite qu’on ne le pense. Il y a quelques hochements de tête, des bruits
de bouches, des « hmmm », des « mmh mmh », mais l’audience
ne semble pas plier. Et puis il y a Baptiste avec qui ça n’a jamais accroché
qui finit par prendre la parole, n’y tenant plus.
« Peut-être que dans ton pays on n’aime pas l’Histoire, mais ici en France
on y est attaché !
– Je suis née en France Baptiste, c’est ridicule…
– Oui oui, on les connait les gens nés en France comme toi… Dans ta culture
alors si tu préfères…
– Je suis née en Guadeloupe, Baptiste, mes parents sont français, mes
grands-parents sont français… Chef, vous ne pouvez pas le laissez dire
ça ! »
Le patron réagit, mollement. Baptiste sort, il aura une retenue sur salaire.
Mais ça ne change rien, il n’y croit pas à son projet de centre commercial sur
l’ile de la cité avec une galerie marchande sous Notre-Dame de Paris. Il aime
bien le projet, il en rêverait presque, mais pour le moment il ne peut pas se
le permettre. Il veut bien lui laisser une chance, jusque lundi, pour lui
apporter des preuves de la crédibilité du projet, que Notre-Dame pourrait être
à vendre. Justice range ses affaires, elle sort de la salle de réunion. A la
sortie Baptiste l’attend. Son projet ne se fera jamais, elle n’a aucune chance.
Et il va la cramer dans le métier, qu’elle n’espère pas retrouver de boulot à
Paris. Justice ne répond pas, elle sait qu’il ne vaut mieux pas, ça se
retournerait contre elle. Elle quitte le bureau, énervée et déterminée.
Elle passe tout son après-midi à rôder autour de Notre-Dame. Elle est pourtant
certaine de son business plan. Faire du mécénat pour aider à la rénovation de
Notre-Dame, ils sont justement en train de refaire le toit, puis négocier la
possibilité d’ouvrir une première boutique, autour de Notre-Dame, c’était comme
ça dans certaines églises au moyen-âge, elle l’a lu quelque part, et étendre
l’emprise commerciale progressivement. En cinq ans elle est certaine de pouvoir
ouvrir une dizaine de boutiques, la galerie commerciale suivra naturellement,
elle sera même réclamée par les touristes. Il n’y a pas besoin de nouveaux
éléments pour appuyer ce projet mais le patron en réclame. Et Justice veut en
apporter pour pouvoir mettre Baptiste au placard. Et avoir un vrai travail,
avec un vrai salaire, arrêter d’enchainer les stages pour lesquels il faut se
battre. Se battre pour les obtenir puis se battre pour obtenir une
rémunération. Et si Notre-Dame avait besoin d’une rénovation soudaine ? Si
un accident se produisait ? L’entrée au capital pourrait se faire plus
rapidement, le plan deviendrait plus plausible, plus crédible. Il faut quelque
chose de spectaculaire mais de pas trop dangereux, qu’elle peut mettre en œuvre
rapidement. Bien sûr il y a ce film où ils provoquent un tremblement de terre à
Vegas, mais ça demande beaucoup de moyen, de réseau, de connaissances. Elle n’a
pas tout ça. Non il faut faire simple et efficace. Un incendie, c’est plus dans
ses cordes. Elle a lu quelque part qu’ils étaient déjà en train de refaire le
toit et les charpentes de bois. Le toit, ça devrait bien bruler ça. Et puis
avec les échafaudages, c’est pas bien compliqué d’y accéder. Il faut de quoi
déclencher l’incendie, mais sur place elle trouvera bien quelque chose. Elle a
son briquet, quelques journaux dans son sac, ça fera l’affaire. Elle n’a pas
besoin que l’incendie soit trop exceptionnel, au contraire. Il faut que ça
fasse quelques dégâts, juste pour qu’ils aient besoin de plus d’argent et que
son patron en entende parler. Elle hésite à entrer faire des repérages. Est-ce
qu’elle n’aura pas l’air louche ? Elle n’a pas l’habitude de faire ce
genre de choses, des actes criminels. Il vaut mieux attendre qu’il n’y ait plus
personne à l’intérieur. Peut-être qu’elle pourrait trouver une cachette,
simplement se laisser enfermer. Elle pourra facilement plaider la bonne foi,
elle connaît quelques prières, sa mère l’emmenait à l’église au moins une fois
par semaine, elle saura être crédible. Elle vérifie trois fois que son briquet
fonctionne, en profite pour fumer une cigarette, elle avait promis qu’elle
arrêterait, si son plan fonctionne elle arrêtera, elle le jure devant Dieu, et
rentre dans la cathédrale. Elle s’assoit l’air innocent sur les bancs dans la
nef, regarde discrètement autour d’elle, repère un escalier de service.
Personnel autorisé uniquement. La porte n’est pas fermée à clé. Elle rentre,
monte les marches naturellement, elle a l’impression d’avoir fait ça toute sa
vie, trouve une sorte de grand placard à fourniture ou une pièce à bazar, elle
ne sait pas trop, se dissimule derrière une étagère métallique et attend là. La
cathédrale ne devrait pas tarder à fermer.
Stefan Brogomir
« Bonjour M. Vasseur, je vous laisse de nouveau un
message concernant la paye de mes heures supplémentaires et mon contrat, ils me
sont réclamés par la préfecture pour prolonger mon titre de séjour. Si vous
pouvez me rappeler rapidement… »
C’est le douzième message que Stefan laisse aujourd’hui à son employeur. Plutôt
son ancien employeur puisqu’il n’a plus de nouvelles de lui depuis plusieurs
semaines et qu’il n’a pas vu la couleur de l’argent promis. C’est un ami qui
lui a donné le contact, un entrepreneur en travaux publics, un gars réglo, pas
trop regardant. Faut pas trop faire la fine bouche, mais il paie bien, au black
par contre. Stefan n’en veut pas, au début. Il veut un vrai travail, déclaré,
qui lui permettra de prolonger son titre de séjour en France. Et puis, comme il
ne trouve rien, il va trouver l’entrepreneur, M. Vasseur. Il lui explique sa
situation, qu’il préfèrerait un travail
déclaré mais qu’il a besoin d’argent, alors il acceptera n’importe quoi. M.
Vasseur se montre compréhensif, il lui donne une avance en liquide puis lui
promet qu’il lui paiera un vrai salaire avec des fiches, un contrat, tout ce
qu’il faut pour que ce soit officiel. Faut qu’il commence à travailler avant,
les comptables sont un peu débordés en ce moment, mais avec l’avance en
liquide, il peut bien lui faire confiance, non ? Stefan lui fait
confiance. Il travaille de nuit, avec d’autres types dans sa situation.
L’entrepreneur est en retard sur l’installation des échafaudages dans la
cathédrale de Notre-Dame de Paris alors il a doublé ses équipes, mais il ne
faut pas que ça se sache. Le contremaitre présent sur les lieux leur interdit
de trop se parler, si il y a un problème avec l’un des ouvriers, il ne veut pas
qu’ils puissent se liguer ensemble. Stefan ne veut pas faire de vague, il ne
parle pas aux autres, fait le travail qu’on lui demande, ne se plaint jamais et
accepte toutes les heures en plus. C’est le seul, à la fin de la nuit, à ne pas
recevoir d’enveloppe. Il aura un contrat, il ne veut pas de cet argent, il sait
que le contrat arrivera bientôt. C’est la seule chose qu’il ose réclamer, de
temps en temps. Il demande où ça en est, il explique qu’il en a besoin à la
préfecture, au moins un contrat, ça les fera patienter, pour le moment il ne
peut pas leur dire qu’il travaille de nuit comme ça, il protège son employeur.
Le contremaître lui assure qu’il comprend et que M. Vasseur sera reconnaissant
qu’il n’ait rien dit. Il lui en a parlé la veille encore, les comptables font
ce qu’ils peuvent, mais il fait partie des priorités, c’est certain. Et puis
vient le jour où lorsqu’ils se pointent le contremaître leur dit de repartir.
Il donne une dernière enveloppe aux autres qui ne demandent pas leur reste.
Mais il n’y a pas d’enveloppe pour Stefan. Il n’y a toujours pas de contrat,
toujours pas de salaire. Stefan insiste auprès du contremaitre. Celui-ci finit
par le menacer d’appeler la police. Et puis plus rien. Alors Stefan appelle M.
Vasseur plusieurs fois par jour, parce qu’il n’a rien d’autre chose à faire. Il
parle de son cas à une association. Ce n’est pas le premier à se faire avoir,
ils connaissent M. Vasseur, ce n’est pas son vrai nom, c’est un prestataire, il
le fait pour beaucoup de boites de Travaux Publics. Quand il peut, il promet
des salaires et des contrats à des types un peu plus naïfs que les autres.
Stefan a fait partie de ces types. Il n’y a pas grand-chose à faire, même si
l’association l’a mis en contact avec un avocat qui l’accompagnera dans ses
démarches auprès de la préfecture.
Quand il laisse son dernier message, Stefan n’a plus qu’une idée en tête, se
venger. Il n’a plus d’espoir, il va devoir rentrer en Ukraine. Mais il ne
partira pas sans s’être vengé. Il connaît bien la cathédrale, comment y rentrer
discrètement, il l’a fait pendant plusieurs semaines. Il a repéré les
installations électriques, elles sont vieilles, il est électricien de
formation, tout brûlera vite. Il laissera des indices pour que les prestataires
soient mis en cause, qu’on ne puisse pas conclure à l’accident mais à la
négligence. M. Vasseur perdra beaucoup d’argent, il en est certain. Il envoie
un dernier sms à M. Vasseur, sa dernière chance d’honorer son contrat, qu’après
il ne sera plus là. Toujours pas de réponse. Alors il quitte la chambre qu’il
partage avec quatre autres compatriotes dans un foyer au nord de Paris. Il
prend toutes ses affaires, il ne reviendra pas, et va à pied jusqu’à
Notre-Dame. Il veut profiter une dernière fois de Paris, il aime bien cette
ville. Il y a vécu des moments difficiles mais il est tombé sous son charme. Il
espère qu’il pourra y revenir. Sur le pont d’Arcole il se fait la promesse
qu’il y reviendra. Il laisse son sac dans une consigne, il ne garde qu’un
briquet, son portefeuille et un paquet de cigarettes et va faire une sieste sur
un banc en face de la fontaine de la Vierge en attendant que la nuit tombe.
Monseigneur Kubacki
Certains lui disent que c’est une tentation, une épreuve que
Dieu lui envoie. D’autres que c’est une prise de conscience qu’il ne peut pas
renier. Monseigneur Kubacki, archevêque de Paris, ne sait quoi en penser. Lui
sait bien que ce qui arrive n’est que la suite logique de sa vie. Il n’a
simplement plus la force de le cacher. Fils d’un père juif d’origine polonaise
et d’une musulmane palestinienne réfugiée en France il a suivi des cours de
catéchisme pour faire comme ses copains. Il veut alors participer aux mêmes
week-ends, aux mêmes colonies organisées par le diocèse. Il demande à ses
parents de le faire baptiser. Ils acceptent facilement, trouvent ça bien que le
jeune Michel ait une religion de choix et non de foi. L’enfant ne comprend pas
ce qu’ils entendent par là mais est ravi de pouvoir suivre ses copains et faire
les quatre-cents coups avec eux. Mais il craint chaque jour de ne plus avoir le
droit de participer aux rassemblements. Ses parents ne sont pas catholiques, il
se persuade que c’est une tare alors il travaille le catéchisme. Il travaille
pour être le meilleur et pour que jamais l’aumônier ne puisse remettre en cause
la légitimité de sa présence aux camps et aux pèlerinages. Il travaille si bien
que même lui se persuade d’être fait pour ça, alors qu’il n’y croit pas
vraiment. Il entre alors à la maison Saint-Augustin puis au séminaire de Paris,
obtient brillamment son baccalauréat canonique en théologie et se fait ordonner
prêtre dans la foulée. Il gravit les échelons de l’Eglise jusqu’au jour où le
Pape le nomme archevêque de Paris, la consécration. Tout le monde célèbre ce
profil idéal d’homme qui est un symbole de paix et de rencontre des cultures.
Mais Michel Kubacki se sent alors rattrapé par le passé. Il n’a rien à faire à
la tête de l’archevêché de Paris. Il dort mal, il se désintéresse de ses
missions. Il en parle au Pape qui lui rétorque que la charge et le symbole sont
plus puissants que l’homme, qu’il s’y fera, que ça lui passera. Mais ça ne
passe pas. Son entourage, ses proches le suppléent dans ses tâches, le couvrent
et le soutiennent pour que rien ne transparaisse auprès des fidèles. Mais les
idées noires occupent son esprit. On ne devient pas archevêque de Paris
uniquement parce qu’on voulait aller faire du camping avec ses copains à l’école.
Il faut des convictions, il faut des croyances. Il n’a rien de tout ça. Quand
il l’explique, on ne le croit pas. C’est un moment de doute, une crise
passagère. Un instant de vie qui donne de la fragilité à la nature humaine et
qui en fait sa beauté. Michel Kubacki se fatigue de toute cette bienveillance
et de toute cette sollicitude. Il se met à saboter son travail et celui de ses
vicaires, pour qu’ils comprennent et qu’ils lui disent de partir. Mais rien n’y
fait. Pire encore, plus il tente de rendre leur existence invivable, plus ils
font preuve de mansuétude à son égard. Ils le pardonnent alors qu’il ne demande
qu’à être haï. Michel Kubacki ne se décourage pas. Il saura bien trouver le
moyen de faire quelque chose d’impardonnable, un acte que personne n’expliquera
pour lui. Il pense à la pédophilie, évidemment, mais ça ne l’attire pas et il
sait bien que dans l’Eglise certains le pardonneront voire même le
soutiendront, ce n’est pas ce qu’il cherche. Il faut quelque chose de plus
fort, de plus symbolique. Il pense à l’apocalypse, aux enfers, aux flammes. Il
a une vision. Notre-Dame dans les flammes des enfers. Ça, ce sera
impardonnable.
Notre-Dame brûle.
Le gardien fait un dernier tour. Tous les touristes sont
sortis. Il ferme les portes destinées aux visiteurs et va se servir un café
dans sa loge. Il y a encore beaucoup de bruits dans la cathédrale. Le personnel
d’accueil qui finit de fermer la caisse et la boutique de souvenir, quelques
guides qui aiment bien profiter du lieu plus calme une fois que les visiteurs
sont partis, les prêtres et les vicaires qui préparent les prochaines
cérémonies. Et puis il entend un brouhaha, un tumulte dans la nef. Il se
précipite et voit Monseigneur Kubacki vociférer dans tous les sens. Il fait ça
depuis quelques semaines. Les prêtres essaient de le raisonner. Il demande à
être seul, il veut se retrouver en tête à tête avec la puissance divine du
lieu. Les vicaires sont ravis, il retrouve la foi. Tout le monde sort. Le
gardien hésite, mais les vicaires insistent, il reviendra dans une heure ou
deux pour s’assurer que tout va bien. L’archevêque a un peu de mal à y croire.
Il a réussi à tous les faire sortir avec une incroyable facilité. Il faut
maintenant qu’il trouve de quoi allumer un feu. Il fouille dans la réserve
quand il entend une porte de service s’ouvrir. Sûrement un vicaire qui revient
vérifier que tout se passe bien. Il court pour le faire déguerpir, mais ne
trouve personne. Il retourne dans la réserve. Il a la curieuse impression
qu’une étagère a été déplacée à l’instant. Il hallucine probablement à cause de
l’excitation du moment. Il faut qu’il garde ses esprits. Il entend de nouveau
la porte s’ouvrir. Cette fois il l’aura ! Il s’y précipite, ne trouve
encore personne mais entend des pas dans les escaliers des échafaudages. Pas
moyen d’être tranquille. Il décide de le suivre.
Justice a failli se faire prendre. Quelqu’un a cherché sur l’étagère juste à
côté d’elle puis s’en est allé. Elle est sortie de sa cachette, a pris un
escalier et s’est dirigée vers les hauteurs de la cathédrale. En montant elle a
l’impression d’être suivie. Probablement la personne qui a failli la trouver.
Elle accélère le pas, elle trouvera bien à se cacher en haut.
Luc ne comprend pas bien ce qu’il a vu, mais une femme vient de passer devant
lui. Elle ne travaille pas à la cathédrale, il en est certain. Il sort de sa
cachette et décide de la suivre. Il prend une des bouteilles d’alcool à brûler,
laisse l’autre cachée au cas où il devrait s’y prendre à deux fois. Elle a dû
l’entendre puisqu’elle accélère le pas. Elle ne trouvera pas de planque en haut
qu’il ne connait pas. Il veut tirer ça au clair.
Laurence a le souffle court. Elle a réussi à rentrer dans la cathédrale mais un
homme est arrivé juste après. Elle s’est cachée malgré son sac bien rempli et
le bruit des babioles qui s’entrechoquent dedans. L’homme est reparti. Elle
veut ressortir, mais un autre homme rentre par la même porte qu’elle. Il semble
porter de gros bidons. Le premier homme revient à son tour et suit le premier
qui s’est dirigé dans les échafaudages. Elle se relève, sort de sa cachette et
entend une troisième personne rentrer. Il se dirige droit vers elle, elle n’a
plus le temps de se cacher, elle ne peut plus que monter à son tour dans les
échafaudages. Il ne l’a pas vue, elle en est certaine, mais il monte aussi. Si
elle redescend ou elle s’arrête, il lui tombera dessus. Elle n’a plus qu’à
espérer que les deux autres hommes ne se soient pas arrêtés en chemin.
Lorsqu’il arrive en haut, Monseigneur Kubacki tombe sur trois personnes, une
femme et deux hommes. La femme est accroupie, un sac à dos ouvert entre les
jambes, plein de vieux journaux. L’un des hommes a renversé le liquide d’un
jerrican en plastique sur les charpentes. Il connaît l’un des hommes, l’autre
qui semble les avoir interrompus. Il a une bouteille en plastique opaque à
bouchon rouge à la main. Un guide qui travaille à la cathédrale. Il met un peu
de temps à retrouver son nom. Luc.
« – Vous faites encore des visites à cette heure-là Luc ?
– Bonsoir Monseigneur Kubacki. Non non pas du tout, je suis tombé sur ces deux
personnes dans la cathédrale à l’instant, je les ai entendues monter et je les
ai suivies.
– Eh bien, messieurs dames, que faites-vous ici ? Vous ne répondez
pas ? Je vais donc vous demander de partir immédiatement de ma cathédrale.»
Ils ne bronchent pas, ils ramassent leurs affaires, Luc aussi, et s’apprêtent à
redescendre quand une femme suivie de près d’un homme arrivent à leur tour.
Elle tient à la main un livre noir décoré d’un pentacle doré. L’homme a l’air
particulièrement déstabilisé de trouver autant de monde sur le toit de la
cathédrale.
« Encore de la visite ! s’exclame Michel. Qui êtes-vous ?
– Euh… Je m’appelle Laurence Obolsky… répond la femme décontenancée.
– Je suis Stefan, je travaillais sur ce chantier mais je n’ai jamais été payé,
répond l’homme à son tour.
– Bien, bien, je suis désolé pour vous mais ce n’est pas moi qui m’occupe de
tout ça, je vais vous demander de partir, j’ai beaucoup à faire ce soir et je
suis pressé, dit l’archevêque en ajoutant les mains.
– Je suis désolé mais je ne vais pas pouvoir vous laisser faire, intervient
enfin Loïc. Je suis ici pour délivrer un message au monde.
– Quel message est-ce que vous voulez délivrer dans une cathédrale fermée au
public ?
– Je dois faire brûler Notre-Dame de Paris pour participer à la purification du
monde.
– Ah non ! s’énerve Michel Kubacki, je dois faire brûler Notre-Dame, j’ai
eu une vision, il n’y a que comme ça qu’on me laissera enfin démissionner de
cette charge dont je n’ai rien à faire ! »
Justice ne peut retenir un léger rire.
« Eh bien mademoiselle, on peut savoir ce qui vous fait rire dans ma
détresse ?
– Monseigneur, ce n’est pas votre détresse qui me fait rire, ni les intentions
de notre ami qui a déjà vidé plusieurs litres d’essence sur les charpentes du
toit, mais plutôt la situation dans laquelle nous nous trouvons. Je venais
aussi mettre le feu à Notre-Dame.
– Moi aussi c’est ce que je venais faire, lâcha Stefan en baissant les bras.
– Je crois bien que moi aussi confessa Laurence en sortant le charbon de bois
de son sac.
– C’est aussi mon cas, termina Luc, mais personnellement que vous le fassiez ça
me convient aussi très bien, je veux juste avoir d’autres histoires à raconter
à mes visiteurs…
– Moi je veux me venger !
– Et moi faire fermer sa gueule à ce con de Baptiste !
– Moi j’ai besoin de retarder un discours du Président…
– Vous rendez-vous compte mes enfants, reprit l’archevêque et levant les bras
pour marquer sa prise de parole, la providence nous a tous réunis ici ce soir.
Ce n’est pas un hasard. Nous voilà tous les six, chacun voulant mettre ce
monument en flamme pour combler un désir personnel. Dieu nous fait confronter,
chacun, nos motivations et comprendre qu’elles sont futiles, vaines, face à
l’immensité et l’universalité de ce lieu. Laissez ici les outils de votre
colère, débarrassez-vous en. Car c’est ce que vous êtes venus faire ici ce
soir, tous, vous débarrasser de votre colère. Alors déposez-la ici, à vos pieds,
sous cette charpente et redescendez avec moi, car moi aussi je laisse ici ma
colère. »
Il détache un chapelet autour de son cou et le pose sur la charpente imbibée d’essence.
Les autres suivent son geste, laissant là de curieuses offrandes à Notre-Dame.
« Nous devrions tous rentrer chez nous et prendre le temps de la
réflexion. A-t-on vraiment pris la bonne voie en nous rendant ici ce soir ?»
Ils acquiescent, à l’exception de Loïc.
« Moi je suis là pour porter un message universel ! Et c’est en
brûlant ce lieu symbolique que je le porterai aux yeux du monde ! J’ai
déjà réfléchi.
– Alors mettez en œuvre votre plan si
telle est votre volonté. »
Loïc est perplexe, il ne s’attendait pas à une telle réponse. Il se saisit de
son dernier bidon d’essence, le vide sur la charpente, personne ne l’en
empêche. Ils ont même commencé à descendre. Il interpelle l’archevêque.
« Est-ce que vous auriez un briquet ?
– Vous voyez, vous devriez prendre le temps de la réflexion, de la méditation
et de la prière. Si vous n’avez pas les moyens de mettre en œuvre votre plan,
c’est qu’il ne doit pas être mis en œuvre maintenant. Allez, venez. Vous
reviendrez ici si Dieu le veut. »
Loïc hésite, souffle un coup et finit par baisser la tête. Michel lui tend les
bras et le prend par les épaules. Il portera son message universel une
prochaine fois, d’une meilleure manière, plus sage et plus juste.
Au pied de la cathédrale, Stefan leur propose une cigarette. Ils en prennent
tous une, la fument en silence dans une étrange communion. Ils jettent leur
mégots encore chaud sur le pavé, se saluent en s’en vont chacun de leur côté.
Deux crécerelles passent. Ils ramassent les mégots rougis dans les serres, les
amènent en haut de la cathédrale, sur une charpente où ils voulaient faire leur
nid. Sur une charpente où quelques temps avant un homme a vidé un bidon
d’essence, un autre de l’alcool à brûler, une femme a déposé un peu de charbon
de bois, un autre a mis à nu des fils
électriques, une autre de vieux journaux, un archevêque le chapelet qu’il a
reçu lors de sa première communion. Les deux faucons font tomber là leurs
mégots. Notre-Dame brûle.
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